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Utopies nécessaires pour sortir de la crise
mardi 14 septembre 2010, par
Le monde a besoin d’utopies en ce temps de crise, à condition qu’elles se traduisent en pratique. Chacun des principes évoqués est susceptible d’applications concrètes qui ont déjà fait l’objet de propositions de la part de nombreux mouvements sociaux et d’organisations politiques.
L’adoption des principes
L’adoption de ces principes permettrait d’engager un processus alternatif réel face aux règles qui président actuellement au déroulement de l’économie capitaliste, à l’organisation politique mondiale et à l’hégémonie culturelle occidentale et qui entraînent les conséquences sociales et naturelles que nous connaissons aujourd’hui.
Les principes exprimés débouchent sur de grandes orientations qu’il est possible d’esquisser.
Respect de le nature et contrôle collectif des ressources
En effet, il est clair que le respect de la nature exige le contrôle collectif des ressources. Il demande aussi de constituer en patrimoine de l’humanité, les plus essentielles à la vie humaine (l’eau, les semences…), avec toutes les conséquences juridiques que cela entraîne. Il signifierait également la prise en compte des “externalités” écologiques dans le calcul économique.-----
La valeur d’usage et le changement du système
Privilégier la valeur d’usage exige une transformation du système de production, aujourd’hui centré prioritairement sur la valeur d’échange, afin de contribuer à l’accumulation du capital considéré comme le moteur de l’économie. Cela amène à la remise en place des services publics, y compris dans les domaines de la santé et de l’éducation, c’est-à-dire leur non-marchandisation.
Exemples de la valeur d’usage
A propos de la valeur d’usage, des exemples concrets peuvent être donnés. Il s’agirait de rétablir le statut de bien public, de l’eau, de l’électricité, de la poste, des téléphones, de l’Internet, des transports collectifs, de la santé, de l’éducation, en fonction des spécificités de chaque secteur. Exiger une garantie de cinq ans sur tous les biens manufacturés, ce qui permettrait d’allonger la vie des produits et de diminuer l’utilisation de matières premières et de l’énergie. Mettre une taxe sur les produits manufacturés voyageant sur plus de 1000 kms entre leur lieu de production et le consommateur (à adapter selon les produits) et qui serait attribuée au développement local des pays les plus fragiles ; renforcer les normes du travail établies par l’OIT, sur la base d’une diminution du temps de travail et de la qualité de ce dernier ; changer les paramètres du PIB, en y introduisant des éléments qualitatifs traduisant l’idée du “bien vivre”.-----
La démocratisation et les nouvelles formes de participations
Généraliser la démocratie, notamment dans l’organisation de l’économie, suppose la fin d’un monopole des décisions lié à la propriété du capital, mais aussi la mise en route de nouvelles formes de participations constituant les citoyens en sujets.
Les applications de la démocratie généralisées sont innombrables et pourraient concerner toutes les institutions qui demandent un statut reconnu publiquement, tant pour leur fonctionnement interne que pour l’égalité dans les rapports de genre : entreprises, syndicats, organisations religieuses, culturelles, sportives. Sur le plan de l’Organisation des Nations unies, on pourrait proposer la règle des deux tiers pour les décisions de principe et de la majorité absolue pour les mesures d’application.-----
La multiculturalité et la diversité culturelle
Accepter la multiculturalité dans la construction des principes exprimés signifie ne pas réduire la culture à une seule de ses composantes et permettre à la richesse du patrimoine culturel humain de s’exprimer, de mettre fin aux brevets monopolisant les savoirs et d’exprimer une éthique sociale dans les divers langages.
Elle comprendrait, entre autres, l’interdiction de breveter les savoirs traditionnels ; la mise à disposition publique des découvertes liées à la vie humaine (médicales et pharmaceutiques) ; l’établissement des bases matérielles nécessaires à la survie des cultures particulières (territorialité).-----
La souveraineté des nations sur leurs ressources
Sur le plan des ressources naturelles, un pacte international sur l’eau, prévoyant une gestion collective (pas exclusivement étatique) correspondrait à une conscience existante de l’importance du problème. Quelques autres orientations pourraient être proposées : la souveraineté des nations sur leurs ressources énergétiques ; l’interdiction de la spéculation sur les produits alimentaires ; la régulation de la production des agrocarburants en fonction du respect de la biodiversité, de la conservation de la qualité des sols et de l’eau et du principe de l’agriculture paysanne ; l’adoption des mesures nécessaires pour limiter à un degré centigrade, l’augmentation de la température de la terre au cours du XXIe siècle ; le contrôle public des activités pétrolières et minières, au moyen d’un code d’exploitation international vérifié et sanctionné, concernant les effets écologiques et sociaux (entre autres les droits des peuples indigènes).-----
Nécessaire utopie
Utopie ! Oui, car cela n’existe pas aujourd’hui, mais pourrait exister demain. Utopie nécessaire, car synonyme d’inspiration et créatrice de cohérence dans les efforts collectifs et personnels. Mais aussi applications très concrètes, sachant que changer un modèle de développement ne se réalise pas en un jour et se construit par un ensemble d’actions, avec un déroulement dans le temps divers. Alors comment proposer des mesures s’inscrivant dans cette logique et qui pourraient faire l’objet de mobilisations populaires et de décisions politiques ? Bien des propositions ont déjà été faites, mais on pourrait en ajouter d’autres.-----
Un appel pour une Déclaration universelle du Bien Commun de l’Humanité
Un appel est lancé pour que les propositions concrètes soient rassemblées en un ensemble cohérent d’alternatives, qui constitueront l’objectif collectif de l’humanité et les applications d’une Déclaration universelle du Bien Commun de l’Humanité par l’Assemblée générale des Nations Unies.
En effet, au même titre que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme proclamée par les Nations unies, une Déclaration universelle du Bien Commun de l’Humanité pourrait jouer ce rôle. Certes les Droits de l’Homme ont connu un long parcours entre les Révolutions française et américaine et leur adoption par la communauté internationale. Le processus fut aussi progressif avant de proclamer la troisième génération des droits, incluant une dimension sociale. Très occidental dans ses perspectives, le document fut complété par une Déclaration africaine et par une initiative similaire du Monde arabe. Sans aucun doute, la Déclaration est souvent manipulée en fonction d’intérêts politiques, notamment par les puissances occidentales. Mais elle reste une référence de base, indispensable à toute légitimité politique et une protection pour les personnes. Aujourd’hui elle doit être complétée, car c’est la survie de l’humanité et de la planète qui est en jeu.
Un impératif pour sortir de la crise...
Une chose est certaine : la sortie de crise ne pourra se faire sans abandonner les paramètres de l’économie capitaliste et redéfinir les concepts de croissance, de développement et de prospérité. La traduction de ceux-ci dans les pratiques collectives et individuelles sera le résultat de nombreuses luttes sociales, du travail des intellectuels et des valeurs morales injectées dans la vie sociale. C’est aussi un impératif pour tous ceux qui se référent au christianisme.
François Houtart, Prof. Emérite de l’UCL
Fondateur du Centre Tricontinental (CETRI) : http://www.cetri.be/