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Sénégal : Participation économique et statut de la femme (I° partie)

dimanche 11 août 2013, par Albertine

A partir d’une recherche de terrrain, Dr Ibrahim Bob montre l’évolution des rapports de genre au Sénégal grâce à l’apport financier des femmes dans les budgets familiaux, malgré la reproduction d’un système social et du poids des traditions.

Une recherche de terrain

Cette recherche s’est déroulée dans la banlieue de Pikine et de Guédiawaye (au Sénégal), auprès d’un échantillon de quarante une personnes. Il est composé de trente femmes, de sept de leur époux et de quatre femmes du personnel administratif de l’ADEFAP (Association pour le Développement des Femmes Avicultrices de Pikine). Nous avions utilisé des entretiens de groupe, individuels et l’observation directe. Dans cette étude, nous avons essayé de montrer qualitativement l’importance financière de la contribution des femmes dans les budgets familiaux qui ainsi concoure à l’évolution de leur statut, mais aussi de voir l’ampleur de l’attachement de celles-ci aux cérémonies à caractère social (baptême, décès, mariage, etc.) et les stratégies de collecte de fonds pour faire face.

Le poids vivace des traditions

Mais malgré la contribution de cette association sur la promotion économique et sociale de ses membres et la participation de plus en plus grande de ces dernières dans les prises de décision du foyer grâce à leur nouveau rôle d’actrices économiques etc.., elles tiennent toujours à certaines valeurs sociales de soumission, de dévouement au pouvoir mâle qui constituent parfois des obstacles par rapport à l’évolution de leur statut de femme.-----

Participation au budget familial

Les femmes dans leur majorité, participent aux dépenses quotidiennes du foyer grâce à l’argent tiré de leurs activités commerciales : « Selon l’Enquête sénégalaise auprès des Ménages, aujourd’hui, 24 % des ménages urbains sont dirigés par des femmes.
Les femmes chef de ménage interrogées sur l’affectation de leurs revenus ont révélé que 50 % de leurs ressources sont destinées aux dépenses alimentaires, 15 % aux dépenses de santé, 15 % sont consacrées à l’éducation des enfants (les garçons surtout), 10 % à l’habitat et 10 % aux dépenses vestimentaires (habillement et parure) » (Bop, 2003 :6)

En Afrique pour les hommes comme pour les femmes, la maturité sociale passe par le mariage et la constitution d’une descendance.
Ce qui fait que le mariage s’accompagne d’une mise sous tutelle de la femme par son époux sur le plan résidentiel du fait de la pratique très courante de la virilocalité mais aussi sur le plan économique. La prise en charge des hommes des besoins essentiels du ménage est sans équivoque du fait que dans la tradition sénégalaise et dans la religion islamique, c’est à l’homme que revient l’entretien de la femme.

Mais le rétrécissement des opportunités d’emploi dans le secteur formel, la baisse du pouvoir d’achat et les difficultés de trouver un emploi dans le secteur informel qui puisse donner des ressources suffisantes au ménage ont un impact sur la situation des familles sénégalaises.-----

Actrices économique incontournables

Dans cette situation de crise, les femmes jouent de plus en plus un rôle économique important en contribuant aux revenus du ménage et même dans certains cas, les dépenses vont au-delà d’une simple contribution comme en témoignent Adjamagbo Agnès ; Antoine Philippe & al : « Pour les Dakaroises, l’exercice d’une activité économique hors de la sphère domestique se heurte au modèle tenace d’une séparation des rôles entre les conjoints et l’idéal de la dépendance financière de l’épouse vis-à –vis du mari.
Mais le mode de vie urbain et les aléas économiques fragilisent de plus en plus cet idéal de la dépendance. La hausse du chômage et le développement des emplois précaires faiblement rémunérés mettent les hommes dans l’incapacité d’assumer seuls les besoins essentiels du ménage » (Adjamagbo & al, 2006 : 13). Ecoutons les témoignages des sénégalaises.-----

Témoignages des sénégalaises

B. Fall, 56 ans confie : « Depuis un moment, j’ai su que l’argent de mon mari ne suffisait plus pour toutes les dépenses de la famille. Je me suis investie dans le commerce avec l’appui de notre association ADEFAP qui m’a financée. C’est qui fait que je prends de plus en plus en charge les autres dépenses familiales pour suppléer à mon mari ».

Cette évolution a pris une réelle dimension économique et sociale sur le statut des femmes du fait qu’elles ont changé de rôle en passant de la passivité à l’action.
Tous les maris que nous avons enquêtés sont unanimes de l’apport de leur femme dans le budget familial.

Pour M. Ndiaye, 53 ans : « je me sens de plus en plus non dépendante parce que au début j’attendais tout de mon mari, mais actuellement je suis devenue une partenaire incontournable sur le plan économique. Mes dépenses familiales augmentent chaque jour parce que mon commerce est florissant. Mais cela ne nous pousse pas à vouloir prendre la place de nos maris, nous sommes obéissantes et ces activités nous permettent de leur venir en aide dans le pur respect des relations conjugales définies par la religion et la coutume ».

Actuellement grâce à leur nouveau statut d’actrices économiques, les femmes de « l’ADEFAP » contribuent activement à toutes les dépenses effectuées au niveau de leur foyer. C’est ainsi qu’un grand nombre de femmes se tournent désormais vers des activités qui peuvent avoir un effet sur leur position sociale, participant à l’amélioration des rapports sociaux entre hommes et femmes au sein de leur foyer conjugal. Malgré cela, la contribution de la femme dans le budget familial reste souvent sous silence.

A SUIVRE....

Dr. Ibrahima Bob (Docteur en sociologie de l’Université Jules Verne/ France)

Dakar/ Sénégal

E-mail : ibrahimabob@yahoo.fr

(Etude menée du 11 janvier au 5 juin 2009)

Publication et mise en forme : CEAF&RI (janvier 2012)

Contact : centreceaf@yahoo.fr