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Au-delà du phénomène migratoire : 60 ans après la déclaration universelle des Droits humains.

jeudi 9 juin 2016, par webmaster

La question du respect des Droits humains ne se pose pas seulement en dehors de nos frontières, à l’autre bout du monde : en Afrique, en Birmanie, en Chine ou ailleurs. Elle est aussi d’actualité chez-nous.

Mots clés :

Asile, Droits humains, sans-papiers, réfugiés, immigration, démocratie, xénophobie.

La récurrente situation des sans-papiers, l’apparition et la multiplication de centres fermés de même que le traitement souvent peu humain imposé aux demandeurs d’asile dans notre pays illustrent la complexité de cette question et les limites des solutions apportées. Bien souvent, il s’agit des solutions à court terme, inefficaces et injustes, modulées sur fond de querelles communautaires et de l’équilibre politique du pays.

1. Balayer devant sa porte

La question du respect des Droits humains ne se pose pas seulement en dehors de nos frontières, à l’autre bout du monde : en Afrique, en Birmanie, en Chine ou ailleurs. Elle est aussi d’actualité chez-nous. La récurrente situation des sans-papiers, l’apparition et la multiplication de centres fermés de même que le traitement souvent peu humain imposé aux demandeurs d’asile dans notre pays illustrent la complexité de cette question et les limites des tentatives de solution apportées. Bien souvent, il s’agit de solutions à court terme, inefficaces et injustes, modulées sur fond de querelles communautaires et de l’équilibre politique du pays.

Dans ce contexte, l’enfermement des enfants dans les centres fermés est, par exemple, aux yeux de Maître Alexis Deswaef , quelque chose de révoltant et d’inacceptable. Une violation des droits fondamentaux des plus fragiles de notre société : les enfants. Nous ne pouvons que partager cette indignation. Joignant l’acte à la parole, Maître Deswaef s’est impliqué dans la défense de Tumba, une petite fille congolaise de six ans et demi qui fut incarcérée pendant 82 jours avec sa maman dans un centre fermé de Belgique.

Malgré la générosité de son engagement, Maître Deswaef perdit le procès. Tumba fut expulsée vers Kinshasa. Toutefois, Maître Deswaef ne perdit pas sa force des convictions. Son indignation n’en fut que très grande. Il décida de ne pas baisser les bras, mais de crier cette injustice sur les toits du monde. Proposé au prestigieux Concours International de plaidoiries pour les Droits de l’Homme, en février 2007, à Caen, le plaidoyer pour Tumba remporta le premier prix.

Quel sens y a-t-il de recevoir pareil prix sur la base d’une cause perdue ? Tout un symbole. Une reconnaissance internationale, un rayonnement à mettre au service des sans-papiers. De quoi chatouiller la justice et le monde politique belges. Où en sommes-nous dans la gestion des Droits humains dans notre pays, notamment vis-à-vis des étrangers et demandeurs d’asile ? A l’occasion, ne faudrait-il pas, avant de désigner du doigt l’un ou l’autre pays comme non respectueux de ces Droits et de brandir les menaces –souvent économiques ou financières - dont nous tenons le levier de commande, de balayer d’abord devant notre porte ? A quand la régularisation des sans-papiers ? A quand la fin des entourloupes juridiques et administratives qui, loin de simplifier le parcours de candidats à l’immigration, le complexifient, et le rendent, par conséquent, fastidieux, voire inaccessible ?

2. L’Union Européenne et les Droits des immigrés

Il est vrai que l’immigration est un phénomène aussi ancien que notre monde. Il est aussi vrai qu’il eût des moments de l’histoire où l’Europe fut l’une des grandes régions pourvoyeuses des migrants. Beaucoup d’Européens sont partis qui pour de raisons de famine, qui d’autres pour cause de pauvreté ou de persécution, etc., en vue de trouver meilleure fortune ailleurs. Toujours est-il que la conscience de cette situation historique semble aujourd’hui occultée par la xénophobie et l’intransigeance de l’extrême droite. L’Europe se fait de plus en plus sourde à la détresse de migrants actuels. Elle se transforme en une forteresse par ses lois et contraintes – souvent vexatoires - opposées aux candidats à l’immigration.

Depuis le Traité de Schengen jusqu’à ce jour, L’Union européenne ne fait que consolider ses frontières, les rendre imperméables vis-à-vis des populations dites « à risques ». Dieu seul saura de quels risques ou de quelles menaces il s’agit. Toujours est-il que la dernière Directive européenne en la matière consolide cette vision. « La Directive du retour ». D’aucuns l’ont baptisé « la Directive de la honte ». La honte ? L’expression nous semble bien euphémique pour dénoncer les travers de cette proposition qui, de toute évidence, prête le flan à des multiples abus.

Un premier fait saute aux yeux : la criminalisation des sans-papiers et, par voie de conséquence, la dégradation de l’image même du migrant. Cette Directive prétend améliorer la situation du demandeur d’asile en statuant sur la durée de détention pouvant aller de 6 à 18 mois. Et plus encore, elle permet d’interdire aux « illégaux » l’accès au territoire européen pour une durée de 5 ans. Indépendamment de l’accueil que chaque pays membre de l’Union européenne réservera à cette Directive –il est à parier que beaucoup vont l’intégrer sans réserve dans leur dispositif légal national -, il convient de s’interroger sur la nature et la gravité du crime commis pour mériter pareil châtiment, car, d’après nos textes des lois, on n’enferme personne sans cause avérée. Serait-il devenu un crime que de demander asile ou protection dans l’un ou l’autre pays de l’Union européenne ? En d’autres termes, serait-il un acte punissable de n’être pas né dans les murs de l’Union européenne et de vouloir y chercher meilleure fortune, en tant qu’être humain tout simplement ?

Ensuite que dire de tergiversations et du flou artistique entourant la question de l’enfermement des enfants dans les centres fermés ? Mineurs accompagnés ? Mineurs non accompagnés ? Un jeu des mots qui sonne creux face à l’immense de détresse des enfants ainsi enfermés. Le cas de Tumba ne peut pas nous faire oublier le désespoir et le sort de Fodé et Yanguine, deux jeunes Guinéens qui, pour tromper la vigilance des garde-frontières, ont eu l’idée de voyager cachés dans le train d’atterrissage d’un avion de la Sabena où la mort les a surpris. Le souvenir de Samira Adamu, cette jeune femme d’origine nigériane morte étouffée suite à la violence policière à l’occasion de son expulsion forcée et dont l’unique tort fut d’avoir demandé asile en Belgique, est plus que jamais vivace.

60 ans après, force est de constater qu’il y a très peu d’avancées en matière de Droits humains au sein de l’Union européenne. C’est un travail ou plutôt un combat de longue haleine, qui demande convictions fortes, force de caractère et persévérance.

3. Immigration choisie ou immigration subie ?

L’immigration constitue l’une des pierres d’achoppement de la Déclaration des Droits humains au sein de l’Union européenne aujourd’hui. Par delà les nombreuses directives européennes et les dispositions juridiques et administratives propres à chaque pays, d’aucuns privilégient la thèse d’une immigration choisie par rapport à l’idée d’une immigration subie. Un paradoxe curieux dont il convient de clarifier les prémisses et d’examiner la philosophie sous-jacente.

Tiens ! Qui choisit et/ou qui subit quoi ? En raison de quels paramètres une telle opération serait-elle possible ? Pour les protagonistes de cette proposition, il est évident que c’est l’Europe – le centre du monde (sic)– qui se doit de choisir le type d’immigration qu’elle veut et d’en établir aussi la typologie. C’est à croire que l’eurocentrisme du bon vieux temps est encore et toujours vivace, de même que l’utilitarisme qui lui sert de fondement.

Les défenseurs de cette thèse ont probablement des bonnes raisons de penser ainsi. Après tout, l’Europe ne se distingue-t-elle pas par la stabilité de son système démocratique et sa prospérité économique ? Deux traits attractifs pour les étrangers de tout bord, deux atouts sur lesquels L’Union européenne elle-même n’aimerait pas perdre le contrôle. Aussi entend-t-elle s’imposer et imposer ses règles du jeu en la matière.

Toutefois, il convient de noter que poser la question de l’immigration en ces termes revient à l’enfermer dans un faux dilemme dont le risque est de conduire à un dangereux sophisme idéologique et existentiel. Cette question est très complexe pour être abordée uniquement en termes de choix économiques (marché et main d’œuvre) ou politique (démographie électorale, xénophobie et revendications identitaires, etc.). Agir ainsi ce serait en méconnaître les ramifications et les différentes formes d’articulation. Il s’agirait d’un réductionnisme qui ne ferait que porter préjudice à la gestion même de la question migratoire.

Le débat devrait se situer au-delà des apparences ou des phénomènes. Il devrait prendre du champ et se concentrer sans passion ni préjugés sur la question du « pourquoi l’immigration ? », notamment « pourquoi une telle pression migratoire aujourd’hui ? ». Ce faisant, pour des raisons d’efficience, ce débat devrait faire abstraction des réponses faciles du type « il n’y a qu’à », « il faudrait », etc. Et pour beaucoup, c’est une question de vie ou de mort, ou plutôt de survie. C’est la lueur de trouver meilleure fortune ailleurs qui les incite à abandonner la terre où ils sont nés et, avec celle-ci, parents, familles et amis au profit d’un monde inconnu. Parfois ou plutôt souvent, cet exil tourne au cauchemar, en un voyage à jamais sans retour, tel fut le cas de Fode et Yanguiné, Samira Adamu et bien d’autres disparus dans l’anonymat le plus total.

Et pour cause ? Le système économique ou le modèle de développement en vigueur qui, au lieu de produire la prospérité escomptée, ne fait qu’engendrer la misère, le dénuement, l’effroyable pauvreté dont les candidats réfugiés à nos portes sont le reflet. Dans ce contexte, il semble bien dérisoire de multiplier les contorsions juridico-politiques ou même d’imperméabiliser à outrance nos frontières pour les dissuader de venir frapper à notre porte. Ils viendront toujours et de plus en plus. Les stratégies du type « retour volontaire ou forcé », « incarcération », « chantage à la xénophobie » ou autres n’ont que l’effet d’un plâtre sur une jambe de bois. Il semble plutôt impérieux de reprendre cette problématique dans sa globalité repensant un modèle de production de richesses (puisque c’est d’elles qu’il s’agit) équitable qui, mettant l’économie au service l’être humain, assure à tous le minimum nécessaire pour assumer chacun notre droit premier et fondamental : la vie, c’est-à-dire la capacité d’assurer, de produire et de reproduire la vie. A défaut d’une telle perspective, le reste n’est que gesticulation retardant l’explosion finale : l’apocalypse.

CEAF&RI