Accueil > Domaine recherches interculturelles > Philosophie > La culture, créatrice d’avenir. Hommage à Jean Paul Ngoupandé (Ière (...)
La culture, créatrice d’avenir. Hommage à Jean Paul Ngoupandé (Ière partie)
dimanche 15 mars 2015, par
Philosophe, écrivain et homme d’État centrafricain, Jean Paul Ngoupandé est décédé à Paris le 04 mai 2014. Le Centre d’Etudes Africaines et de Recherches Interculturelles (CEAF&RI) voudrait joindre sa voix à celles qui continuent à rendre hommage à ce digne fils du continent et du monde.
Un universitaire engagé
Jean-Paul Ngoupandé, cet universitaire, était également engagé en politique. Ancien doyen de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’université de son pays, il a été ministre de l’éducation nationale, ambassadeur de son pays en Côte d’Ivoire et en France (où nous avons fait sa connaissance), puis premier ministre sous le président Ange Félix Patassé en 2001.
Collaborateur de la revue Géopolitique africaine (publiée à Paris, New York et Ottawa), outre de nombreux articles, Jean Paul Ngoupandé nous laisse en héritage quatre ouvrages :
Ses publications
- Racines historiques et culturelles de la crise africaine, AD Editions (Abidjan) et Éditions du Pharaon (Cotonou), 1994, 67 pages.
Chronique de la crise centrafricaine, 1996-1997, L’Harmattan, Paris, 1997, 197 pages.
L’Afrique sans la France, Albin Michel, Paris, 2002, 399 pages.
L’Afrique face à l’islam, Albin Michel, Paris, 2003. Prix Lucien de Reinach, 299 pages.
Passionné de son pays et du continent sur lequel il a un regard optimiste mais aussi provocateur, Jean Paul Ngoupandé est resté philosophe jusqu’au bout. Pour lui, la crise africaine a de profondes racines culturelles. Par ricochet, la culture est un des piliers sur lesquels doit reposer l’avenir du continent. C’est cette dynamique de sa pensée que nous voulons rapidement exploiter.-----
La force de la culture
Les anthropologues le savent : le terme « culture » est difficile à définir. Il évoque tout ce qui fait la personne : la manière de voir le monde, les habitudes, l’organisation de son environnement matériel.
En ce sens, il n’est pas possible d’envisager la transformation et le développement de la société sans parler de la culture. Ce qui suppose des hommes et des femmes capables de mettre en place un eco-développement réellement participatif où la personne humaine et la fraternité occupent la place centrale. Ce qui suppose une culture qui ouverte à une herméneutique endogène de responsabilité, qui allie fantaisie et ordre, travail rigoureux et célébration. Elle s’inscrit dans le quotidien et dans la durée. Elle se dit à la fois dans un langage symbolique et discursif.
Bref, pour Jean Paul Ngoupandé, la culture est pour un peuple et un continent une véritable force, même un espace de résistance, comme en témoigne, de manière pathétique, son homonyme le pape Jean Paul II, à l’UNESCO :
« Je suis fils d’une Nation qui a vécu les plus grandes expériences de l’histoire, que ses voisins ont condamnée à mort à plusieurs reprises, mais qui a survécu et qui est restée elle-même. Elle a conservé son identité, et elle a conservé, malgré les partitions et les occupations étrangères, sa souveraineté nationale, non en s’appuyant sur les ressources de la force physique, mais uniquement en s’appuyant sur sa culture. Cette culture s’est révélée en l’occurrence d’une puissance plus grande que toutes les autres forces » [1].-----
Culture et Interculturalité
Pourtant, pour J.P. Ngoupandé, la culture ne peut se penser et se vivre que dans une optique d’interculturalité, qui garantit une véritable fidélité au passé et ouvre réellement l’avenir. Elle libère l’imaginaire des blessures qui gangrènent notre histoire. Elle suscite de nouvelles pratiques.
Aujourd’hui, de manière particulière, il n’est pas possible d’envisager la culture sans évoquer la mondialité. Certes, la modernité ou la post-modernité n’a pas phagocyté la tradition, mais la mutation du monde traditionnel est réelle, surtout dans un univers mondialisé ou post-mondialisé.
Dans la perspective d’interculturalité, la culture se vit non plus sur le rythme de la mêmeté, mais sur celui de l’inventivité et de la prospection. Il faut une pensée exigeante, audacieuse et créatrice.
N’est-ce pas le testament d’Alioune Diop ? En effet, dans son dernier article, écrit juste avant sa mort, en 1980, il confie, entre autre, à toute l’intelligentsia africaine la responsabilité de faire advenir la modernité africaine :
« C’est à l’élite qu’il revient de prendre l’initiative dans cette commune volonté de rapprochement et de connaissance mutuelle. Il lui revient de faire prendre en considération par l’opinion mondiale les traits caractéristiques de la vie de son peuple. Notamment sa vision du monde et son projet de civilisation. Il lui appartient aussi de faire connaître au monde une lecture africaine de grandes œuvres occidentales à vocation universelle : la Bible, Marx, Freud [2] , par exemple –ainsi que l’Histoire des Peuples telle qu’elle a été répandue dans le monde dans sa version occidentale [3] » .
Paulin Poucouta
[1] Discours de Jean Paul II à l’Unesco, Paris, 2 juin 1980, Voir La Documentation Catholique, n.1788, 1980, p. 603-609
[2] Il faudrait ajouter le Coran.
[3] ALIOUNE DIOP, « Pour une modernité africaine », Présence Africaine, Paris, 1980, p. 6.