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Du fatal enchainement des crises
jeudi 26 août 2010, par
On ne peut se contenter seulement de parler de crise financière quand des millions des personnes vivent dans la pauvreté, meurent de la faim, des catastrophes naturelles....
Les multiples faces de la crise
Quand 850 millions d’êtres humains vivent sous la barre de la pauvreté et que leur nombre augmente, quand chaque vingt quatre heure, des dizaines de milliers de gens meurent de faim, quand disparaissent jour après jour des ethnies, des modes de vie, des cultures, mettant en péril le patrimoine de l’humanité, quand le climat se détériore et que l’on se demande s’il vaut encore la peine de vivre à la Nouvelle Orléans, au Sahel, dans les Iles du Pacifique, en Asie centrale ou en bordure des océans, on ne peut se contenter seulement de parler de crise financière.
Conséquences de la cise financière
Déjà les conséquences sociales de cette dernière sont ressenties bien au delà des frontières de sa propre origine : chômage, chèreté de la vie, exclusion des plus pauvres, vulnérabilité des classes moyennes et allongement dans le temps de la liste des victimes. Soyons clairs, il ne s’agit pas seulement d’un accident de parcours ou d’abus commis par quelques acteurs économiques qu’il faudra sanctionner, nous sommes confrontés à une logique qui parcourt toute l’histoire économique des deux derniers siècles De crises en régulations, de dérégulations en crises, le déroulement des faits répond toujours à la pression des taux de profit : en hausse on dérégule, en baisse on régule, mais toujours en faveur de l’accumulation du capital, elle-même définie comme le moteur de la croissance. Ce que l’on vit aujourd’hui n’est donc pas nouveau. Ce n’est pas la première crise du système financier et certains disent que ce ne sera pas la dernière.
Cependant, la bulle financière créée au cours des dernières décennies, grâce, entre autres, au développement des nouvelles technologies de l’information et des communications, a surdimensionné toutes les données du problème. L’économie est devenue de plus en plus virtuelle et les différences de revenus ont explosé. Pour accélérer les taux de profits, une architecture complexe de produits dérivés fut mise en place et la spéculation s’est installée comme un mode opératoire du système économique. Cependant, ce qui est nouveau, c’est la convergence de logique entre les dérèglements que connaît aujourd’hui la situation mondiale.-----
La crise alimentaire
La crise alimentaire en est un exemple. L’augmentation des prix ne fut pas d’abord le fruit d’une moindre production, mais bien le résultat combiné de la diminution des stocks, de manœuvres spéculatives et de l’extension de la production d’agrocarburants. La vie des personnes humaines a donc été soumise à la prise de bénéfices. Les chiffres de la bourse de Chicago en sont l’illustration.
La crise énergétique
La crise énergétique, quant à elle, va bien au delà de l’explosion conjoncturelle des prix du pétrole. Elle marque la fin du cycle de l’énergie fossile à bon marché (pétrole et gaz) dont le maintien à un prix inférieur provoqua une utilisation inconsidérée de l’énergie, favorable à un mode de croissance accéléré, qui permit une rapide accumulation du capital à court et moyen terme. La surexploitation des ressources naturelles et la libéralisation des échanges, surtout depuis les années 1970, multiplia le transport des marchandises et encouragea les moyens de déplacement individuels, sans considération des conséquences climatiques et sociales. L’utilisation de dérivés du pétrole comme fertilisants et pesticides se généralisa dans une agriculture productiviste. Le mode de vie des classes sociales supérieures et moyennes se construisit sur le gaspillage énergétique. Dans ce domaine aussi, la valeur d’échange prit le pas sur la valeur d’usage.
Aujourd’hui, cette crise risquant de nuire gravement à l’accumulation du capital, on découvre l’urgence de trouver des solutions. Elles doivent cependant, dans une telle perspective, respecter la logique de base : maintenir le niveau des taux de profit, sans prendre en compte les externalités, c’est à dire ce qui n’entre pas dans le calcul comptable du capital et dont le coût doit être supporté par les collectivités ou les individus. C’est le cas des agrocarburants et de leurs conséquences écologiques : destruction par la monoculture, de la biodiversité, des sols et des eaux souterraines, et sociales : expulsion de millions de petits paysans qui vont peupler les bidonvilles et aggraver la pression migratoire.-----
La crise climatique
La crise climatique, dont l’opinion publique mondiale n’a pas encore pris conscience de toute la gravité, est, selon les experts du GIEC (Groupe international des experts du climat) le résultat de l’activité humaine. Nicolas Stern, ancien collaborateur de la Banque mondiale, n’hésite pas à dire que “les changements climatiques sont le plus grand échec de l’histoire de l’économie de marché.” En effet, ici comme précédemment, la logique du capital ne connaît pas les “externalités”, sauf quand elles commencent à réduire les taux de profit.
Accélération des émissions de gaz à effet de serre
L’ère néolibérale qui fit croître ces derniers, coïncide également avec une accélération des émissions de gaz à effet de serre et du réchauffement climatique. L’accroissement de l’utilisation des matières premières et celui des transports, tout comme la dérégulation des mesures de protection de la nature, augmentèrent les dévastations climatiques et diminuèrent les capacités de régénération de la nature. Si rien n’est fait dans un proche avenir, de 20 % à 30% de toutes les espèces vivantes pourraient disparaître d’ici un quart de siècle. Le niveau et l’acidité des mers augmentera dangereusement et l’on pourrait compter entre 150 et 200 millions de réfugiés climatiques dès la moitié du 21° siècle.-----
La crise sociale
C’est dans ce contexte que se situe la crise sociale. Développer spectaculairement 20 % de la population mondiale, capable de consommer des biens et des services à haute valeur ajoutée, est plus intéressant pour l’accumulation privée à court et moyen terme, que répondre aux besoins de base de ceux qui n’ont qu’un pouvoir d’achat réduit ou nul. En effet, incapables de produire de la valeur ajoutée et n’ayant qu’une faible capacité de consommation, ils ne sont plus qu’une foule inutile, tout au plus susceptible d’être l’objet de politiques assistentielles. Le phénomène s’est accentué avec la prédominance du capital financier. Une fois de plus la logique de l’accumulation a prévalu sur les besoins des êtres humains.
Tout cet ensemble de dysfonctionnements débouche sur une véritable crise de civilisation caractérisée par le risque d’un épuisement de la planète et d’ une extinction du vivant, ce qui signifie une véritable crise de sens. Alors, des régulations ? Oui, si elles constituent les étapes d’une transformation radicale et permettent une sortie de crise qui ne soit pas la guerre, non, si elles ne font que prolonger une logique destructrice de la vie. Une humanité qui renonce à la raison et délaisse l’éthique, perd le droit à l’existence.
Certes, le langage apocalyptique n’est pas porteur d’action. Par contre, un constat de la réalité peut conduire à réagir. La recherche et la mise en œuvre d’alternatives sont possibles, mais pas sans conditions. Elles supposent d’abord une vision à long terme, l’utopie nécessaire ; ensuite des mesures concrètes échelonnées dans le temps et enfin des acteurs sociaux porteurs des projets, au sein d’un combat dont la dureté sera proportionnelle au refus du changement.
Francois Houtart
Prof. Emérite Université Catholique de Louvain
Fondateur du Centre Tricontinental (CETRI)